En ce moment, à venir…
Détail de l’œuvre Séchoir #3, 2024.
Ensemble de fleurs en pastillage présenté au CACIN Les Tanneries.
Né en 1987, vit et travaille à Marseille (FR).
Contact, benjamin.mouly@gmail.com
Benjamin Mouly a étudié la photographie à l’ENSP d’Arles et l’art contemporain à la HEAD de Genève. Son travail a été exposé en France et à l’international (MC2 Gallery Milan, Alliance Française de Bogotá), à l’occasion d’expositions personnelles (Galerie Les Filles du Calvaire), collectives (Collection Lambert) et de foires (Paris Photo, Unseen Amsterdam, Art Bruxelles). Après une année de résidence à la Casa de Velázquez de Madrid 2019-20, il vit et travaille à Marseille.
Benjamin Mouly développe une pratique pluridisciplinaire traversée par la question de l’image et de l’agentivité. En utilisant la vidéo, la photographie, l’installation ou la performance, il investit l’écart entre l’expérience corporelle et visuelle d’un réel instable et les techniques normalisées de sa capture. Le regard occupe une place prépondérante dans son travail et l’image constitue un moyen d’appréhender le monde sans tenter de le saisir complètement.
Il met en scène des situations dans lesquelles se retrouvent par exemple des oiseaux, du sucre ou encore du saindoux. Ces matières et ces corps imprévisibles deviennent acteurs de relations où la présence humaine n’est plus le centre. La place de chacun est rendue trouble et les œuvres qui en résultent contiennent souvent une part incongrue ou absurde. Depuis 2019, la vidéo est un médium privilégié dans la pratique de l’artiste. Elle lui permet de faire exister dans la durée des gestes et des matériaux éphémères tout en continuant d’interroger des enjeux liés à la représentation.
Image © Thomas James
Détail de l’œuvre Séchoir #3, 2024.
Ensemble de fleurs en pastillage présenté au CACIN Les Tanneries.
In Watermelon Sugar est un projet d’adaptation en plusieurs volets du roman éponyme de Richard Brautigan – une fable post-apocalyptique où le sucre est matière à tout faire. Après la lecture du livre, je commence à m’intéresser à la matérialité du sucre, à ses propriétés formelles uniques, à son caractère imprévisible et éphémère ; mais aussi aux histoires dont le sucre est porteur, notamment du fait de son passé colonial et de ses modes de productions comme de représentation.
Le second chapitre, Toucher de bouche, met l’accent sur les propriétés sculpturales et sociales du sucre et se concentre sur sa production industrielle à partir de la betterave sucrière, et artisanale. Production de sucre, donc, mais aussi de récits. Ce nouveau volet est composé d’un ensemble de sculptures en sucre et en bois et d’un triptyque vidéo réalisé en collaboration avec des habitant.es, des salarié.es, des élèves, des apprenti.es et des professionnel.les du bassin de vie autour du Centre d’Art Les Tanneries.
Interview, visite et remerciements
Crédit photos 22, 33-36, 39, 42-53 © Aurélien Mole, courtesy de l’artiste et des Tanneries – CACIN, Amilly
Il fut une époque où le besoin de raffiner devint industriel. Ce qui était subtil – dans le fil d’un toucher de bouche – avait été jusque-là d’une diffusion limitée, une matière précieuse qui n’était pas encore première. Son amoncellement, et toutes ses formes de ruissellements à venir, relevaient d’une belle utopie, d’un monde édulcoré ou encore d’une cité emmiellée, sous le palais d’une réalité diffuse ouvrant vers une contrée inconnue, très possiblement fantastique.
Tout cela en quelque sorte était de l’ordre d’une histoire à dormir debout.
Il nous est dit qu’il fallut qu’elle se « démocratise », et là, tout le suc de la farce vient napper en creux une l’histoire plus amère, mitigée, dans le fracas des machines ou des casserolades de fers-blancs, dans la chaleur et les vapeurs des fours, l’humidité brumeuse d’un paysage betteravier et des nuages poudrés révélés par la lumière les traversant. Un monde bien différent que celui rincé et dépouillé de toutes parties salines, alcalines, acides, anguleuses ou astringentes se manifeste là : ici tout aussi possiblement, viennent résonner des cales remplies d’hommes, enchaînés – matière première elles aussi – remplacées par les tiges coupées des cannes, bientôt broyées et pressées, blanchies et scintillantes pour mieux rayonner au centre des attentions.
Le toucher de bouche se poursuit. La complexité se révèle. Tout peut s’empâter et vient s’agglutiner, alourdir le propos, et freiner la fugacité fulgurante de cette matière glorieuse. Le fantastique est aussi porteur du fabuleux, là où émerge le perplexe, comme parfois le pire. Un besoin mystérieux se prolonge en bouche, enivrant tout discernement, dissociant l’ordonnancement des perceptions, d’un récit à faire, d’un fil d’histoire à suivre, laissant avec adresse et agilité, l’esprit et l’oeil se jouer et déjouer des séquences ressenties, des assemblages et des apparentements éthérés.
Le premier et le secondaire atermoient, la beauté et la poétique côtoient l’absurde et le banal. Le merveilleux se plaît à paraître ainsi, désenchanté séducteur.
Toucher de bouche trouve les conditions de sa détermination dans ce rapport de registre sensible, là-même où le vivant et le besoin de transcription d’un rapport au monde, aux êtres et aux choses, se font « cuisine commune » pour dresser la table autant qu’établir la carte, porteuses l’une comme l’autre des saveurs mêlées d’une écriture filmique, d’une pensée et pratique de la sculpture, d’histoires lues et rêvées, imaginées, autant que vécues et partagées, de lectures de l’histoire de l’art et des savoirs, d’un partage d’une expérience commune autour des enjeux de la création contemporaine.
De registre en registre, l’étendue des saveurs se fait palette.
Les conditions de l’apparentement sont établies.
Le 04.05.2024, j’ai offert un bouquet de fleur. À qui? pourrait-on se demander. Et bien à personne en particulier. C’est un bouquet célibataire. Un bouquet en sucre reprenant en trompe l’oeil un autre bouquet acheté la semaine précédente sur le marché. Des Pavots de Californie.
Je me suis demandé pourquoi ont dit Pavot de Californie. Il est dit que cette fleur est originaire de la vallée intérieure du Sud de l’Oregon et de Californie. C’est d’ailleurs l’emblème cet état et l’entreprise Apple en a fait photographier des plaines entières pour créer l’un de ses iconiques fond d’écran pour l’Iphone 7. La fleur est aussi utilisée depuis plusieurs millénaires par les Indiens Yokut et Pima pour ses priorités sédatives et l’on continue de l’employer comme alternative aux anxiolytiques.
J’ai commencé à confectionner des fleurs en sucre quelques mois plus tôt pour tenter de remettre au goût du jour la technique du pastillage. Aujourd’hui tombée en désuétude, ce savoir-faire très en vogue pendant l’époque Baroque était le summum de la délicatesse pour la pâtisserie ornementale jusqu’au 19ème siècle. Dans le même temps le commerce du sucre, basé sur l’impérialisme colonial, a permis de structurer l’esclavage tout en devenant le mètre étalon de l’économie des grandes puissances jusqu’au 20ème siècle.
California Poppy, 2024, a été présenté pendant le PAC à Marseille dans l’atelier d’Adrien Menu.
Avec les œuvres d’Antoine Bondu, Emma Cossée Cruz, Elise Courcol-Rozès, Elia David et Adrien Menu.
Numérique, 16/9, 4K, couleur, son, 08 min
« À Sucre de pastèque les gestes étaient faits et refaits comme ma vie est faite de sucre de pastèque.» C’est ainsi que commence le livre éponyme de Richard Brautigan, une fable post-apocalyptique où le sucre est une matière à tout faire dans la vie de ses personnages. Le film s’immisce dans les rouages d’une importante usine du Loiret dédiée au raffinage du sucre. Les employée.s de l’usine y sont occupé.e.s à lire des extraits du livre depuis leur poste de travail, tantôt pour eux-mêmes, tantôt pour un.e collègue. Et pendant ce temps là, l’usine continue de broyer des betteraves, d’extraire leur jus, de le réduire jusqu’à obtenir les précieux cristaux.
Avec les employé.e.s du l’usine Cristal Union de Corbeille-en-Gâtinais
Assistant réalisateur et prise son, Philibert Gau
Chef opérateur et étalonnage, Guillaume Delsert
Montage, Carla Biays
Numérique, 16/9, 2K, couleur, son, 12 min
Dans Eaux-Douces, un groupe d’apprenti.e.s découvre une portière automobile à l’allure intrigante. Ils s’interrogent sur sa matérialité, ses origines avant que celle-ci ne les conduise dans une dérive collective teintée d’onirisme.
Avec les élèves en bac pro Métiers du Froid du Lycée Château Blanc de Châlette-sur-Loing
Et Catherine Rondeaux, agent d’entretien à la Ville d’Amilly et actrice lors d’un après-midi pluvieux aux Tanneries
Assistant réalisateur, Philibert Gau
Assistant pâtisserie, Thierry Jolly
Chef opérateur et étalonnage, Guillaume Delsert
Montage, Carla Biays
Cheffe électricienne, Lucile Prin
Ingénieur son, Antoine Viallefond
Crédit photos © Aurélien Mole, courtesy de l’artiste et des Tanneries – CACIN, Amilly
Numérique, 16/9, 2K, couleur, son, 11 min
Les mains s’activent sous la lumière des bougies. Les gestes sont précis, calmes. La poudre blanche qui recouvre le plan de travail forme bientôt un pâton, puis l’abaisse passe de mains en mains jusqu’à donner de minutieux pétales. Le cérémonial se poursuit dans un ballet de serveurs en livrée noire. Ils emmènent les fleurs sur un plateau d’argent jusqu’à une chambre bleue destinée au séchage.
Messe basse s’inspire de vignettes publiée en 1763 dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert représentant « l’intérieur d’un laboratoire – celui du confiseur – où différents ouvriers sont occupés aux opérations du pastillage. » Le pastillage est une technique oubliée que l’on réalise à base de sucre glace et de gomme de tragacanthe et dont « on fait toutes sortes de représentations et d’ornements ». À l’origine, les Italiens appelaient cette technique pasteca, pastèque.
Avec les élèves et les responsables d’atelier du Lycée Hôtelier Saint-Louis de Montargis
Assistant réalisateur, Philibert Gau
Assistant pâtisserie, Thierry Jolly
Chef opérateur et étalonnage, Guillaume Delsert
Montage, Carla Biays
Cheffe électricienne, Lucile Prin
Ingénieur son, Antoine Viallefond
Crédit photos 05, 11, 12 © Aurélien Mole, courtesy de l’artiste et des Tanneries – CACIN, Amilly
Finissime piegature, 2023, est un ensemble de sculptures comestibles réalisées en sucre pour venir habiller l’espace de l’exposition Lovelace. Entre amuse-bouche et trompe-l’oeil, c’est une invitation ambiguë à fusionner par le doux avec l’un des motifs les plus savoureux du baroque, le pli.
Installation présentée du 01.06.2023 au 07.06.2023 à l’Iméra de Marseille avec les œuvres d’Astrid de la Chapelle, Lia Giraud, Nadia Lagati, Nicolas Maigret et Jean-Baptiste Sauvage.
Numérique, 16/9, 4K, couleur, son, 15min
K. Rose se repose au grand air en compagnie de Corbeau. Les deux se lovent dans un tapis d’herbes sèches près de l’ancien pigeonnier. Du petit jour au crépuscule, le réveil guette.
Avec un corbeau, Cuerva
Acteur, Kevin Hoarau
Dresseur, Pedro Sáiz Flores
Cheffe opératrice, Alana Mejía González
Assistante réalisation, Claire Chassot
Prise son, Étienne Haan
Montage, mixage, étalonnage, Benjamin Mouly
Ce projet a bénéficié du soutien de la DRAC Bretagne (Bourse AIC) et de la Casa de Velázquez.
Lien de visionnage sur demande.
Nature humaine – Humaine nature (soirée projections), commissaires Margaux Bonopera et Julia Marchand, Fondation V. Van Gogh, Arles (FR), 2023. Crédit photos événement © Grégoire d’Ablon
Le 13.02.2023, ma chaussure-vidéo tenait la porte de l’exposition collective Bouquet final à Culot 13, Marseille (FR).
An apple is looking at (one shoe), c’est le pied droit d’une paire de chaussures Derby noires. J’aimais les porter pour aller à un vernissage, ou d’autres circonstances habillées. Mais la paire s’est usée, elle a finit dans un placard, puis dans un sac, puis devant une benne de tri, avec moi tenant le sac et c’est à ce moment là que j’ai pensé à autre chose.
Dans la semelle en caoutchouc, j’ai creusé une niche pouvant accueillir un téléphone. À l’écran, une pomme poussée par deux pies roule sur un chemin. On voit le monde depuis l’intérieur de la pomme et on regarde la vidéo à l’intérieur de la chaussure.
Crédit photos installation et événement © Nassimo Berthommé. Crédit photo 03. © Cecile Chassang
For the Birds – An apple is looking at, 2020
For the Birds – An apple is looking at, 2020
Durée 30min.
Vidéo numérique, 16/9, 2K, couleur.
Œuvre musicale pour quatuor à cordes, composition Huihui Cheng.
Interprété par l’ensemble Camerata Ataremac, Lausanne (CH).
Le 10.12.2021, dans le cadre de Fracanäum concert series, Huihui Cheng et moi présentions au cinéma Bellevaux de Lausanne In-visible Strings, une collaboration audio-visuelle interprétée en live par Camerata Ataremac.
In-visible Strings est un instrument improbable qui relie différents objets par l’intermédiaire de cordes en mouvement, sur lesquelles la caméra glisse, oscille, se fige. Ses cordes sont faites de sucre, de soie d’araignée ou de nylon. Elles construisent des lignes vives sur lesquelles passe le son, et où apparaissent tour à tour un faucheux, des bulles de sucre, un reflet, des mues, le clapotement de gouttes d’eau dans une bassine rouillée, une pastèque, etc.
Extrait
Numérique, 16/9, 4K, couleur, son, 14min
Un jeune corbeau et K. Rose se rencontrent dans une cuisine. Entre un verre de lait, quelques pots d’épices et le fond d’une poêle grasse, ils deviennent l’un et l’autre complices d’une mise en scène de petit-déjeuner.
Avec deux jeunes corbeaux, Benjamín et Clara
Acteur, Kevin Hoarau
Dresseur, Pedro Sáiz Flores
Cheffe opératrice, Alana Mejía González
Assistante réalisation, Claire Chassot
Prise son et mixage, Étienne Haan
Étalonnage, Nadia Khairat Gómez
Ce projet a bénéficié du soutien de la DRAC Bretagne (Bourse AIC) et de la Casa de Velázquez.
Lien de visionnage sur demande.
For the Birds (Le beurre), vidéo 16/9, 4K, couleur, son, 21 min, 2020.
For the Birds (An apple is looking at), vidéo 16/9, 4K, couleur, son, 06 min, 2020.
Cimaise arquée, 5 assises en forme de rocher, 1 pomme géante et 1 fauteuil trafiqué qui vibre en diffusant la bande son de (An apple is looking at).
© Louise Quignon
For the Birds (Le beurre).
For the Birds (Le beurre).
For the Birds (Le beurre).
For the Birds (An apple is looking at).
For the Birds (An apple is looking at).
Numérique, 16/9, 4K, couleur, son, 21min
Un homme en costume de velours (K. Rose) déambule dans un espace naturel peuplé de curieuses formations rocheuses. Au milieu de cet environnent enneigé, un bloc de graisse blanche suscite l’intérêt du personnage et attire la convoitise d’oiseaux à la recherche de nourriture.
Avec les pies du jardin de la Casa de Velázquez
Acteur, Kevin Hoarau
Assistante réalisation, Claire Chassot
Assistant réalisation, Francisco Rodríguez Teare
Caméra, Benjamin Mouly
Prise son, Thomas Andrea Barbey
Musique, Huihui Cheng
Mixage, Étienne Haan
Montage, Benjamin Mouly
Étalonnage, Nadia Khairat Gómez
Ce projet a bénéficié du soutien de la DRAC Bretagne (Bourse AIC) et de la Casa de Velázquez.
Lien de visionnage sur demande.
Numérique, 16/9, 4K, couleur, son, 06min
Qu’est-ce que voir le monde depuis l’intérieur d’une pomme? Dans cette scène, nous suivons un groupe de pies dans un jardin. Entre tentative d’approche et dérive visuelle, le regard s’éloigne de la seule perspective humaine.
Avec les pies du jardin de la Casa de Velázquez
Caméra, Benjamin Mouly
Costume, Benjamin Mouly
Doublure, Claire Chassot
Mixage son, Étienne Haan
Étalonnage, Nadia Khairat Gómez
Ce projet a bénéficié du soutien de la DRAC Bretagne (Bourse AIC) et de la Casa de Velázquez.
Lien de visionnage en MP.
Texte publié dans le catalogue 2020 de la Casa de Velázquez.
(FR)
« Des histoires moins déterministes, des histoires qui laissent des marges de manoeuvre plus importantes, des histoires qui déjouent la tentation des modèles [01.] ». Ainsi Vinciane Despret qualifie le potentiel narratif que permet l’approche philosophique du comportement des oiseaux. Ces histoires, leurs modalités d’existence, leurs enjeux perceptifs, sont précisément celles qui habitent le travail de l’artiste Benjamin Mouly. Ancrée dans une pratique de la photographie, son œuvre ne cesse pourtant de déjouer la fixité des images, de creuser des écarts entre l’expérience corporelle et visuelle d’un réel instable et les techniques normalisées de sa capture. C’est dans cette perspective expérimentatrice et teintée d’humour que s’inscrit le projet filmique For the Birds que Benjamin Mouly développe à la Casa de Velázquez.
For the Birds est un film composé d’un ensemble de saynètes [02.] présentant un personnage multiple, cherchant à tisser une relation avec des oiseaux au moyens de matériaux insolites – le sucre, le gras – ou de techniques d’approches poétiques – l’attente oisive, la chorégraphie de gestes, la pratique amatrice de l’art. Figure de prestidigitateur dandy, sculpteur sur saindoux, peintre d’intérieurs de vestes, statue vivante, amateur de bagarres mais aussi de siestes, l’impersonnage de ce film est un expérimentateur. Inventeur de sens multiples et de modes d’action composites, mobiles, procédant d’occasions, il esquive le sérieux d’une approche scientifique par le burlesque de sa démarche, et permet ainsi l’avènement d’une autre modalité d’être au monde, en relation à la nature et aux oiseaux. En résulte la fabrique d’un écosystème de formes dont les qualités naturelles ou artificielles se trouvent saisies dans un jeu comique de renversement des valeurs.
Oscillant entre le documentaire, le western et le cinéma muet, For the Birds fait varier les genres et les registres autant que les regards. Soumis au déséquilibre, ceux-ci fabriquent une perception éclatée et polymorphique de la réalité en degrés et variables potentiellement infinis. Ainsi For the Birds est un film qui incarne les ressources insoupçonnées du domaine du vivant et l’éventail vertigineux des possibles qu’offre le champ du visible dès lors qu’il se conçoit hors de la seule perspective humaine. D’ailleurs For the Birds ne s’adresse pas forcément à des spectateurs humains, et après tout, comme un homme nouveau l’a un jour dit: « L’esthétique est à l’artiste ce que l’ornithologie est aux oiseaux [03.] ».
01. Vinciane Despret, Habiter en oiseau, éditions Actes Sud, 2019.
02. Une « saynète » est une petite comédie bouffonne jouée en entracte dans le théâtre espagnol. Le terme a pour origine le mot « sainete », qui désigne un petit morceau de graisse que l’on donne aux oiseaux pour les récompenser.
03. Citation de Barnett Newman, 1952.
(EN)
« Less determinist stories, stories that leave more room for manoeuvre, stories that thwart the temptation of [01.] ». Vinciane Despret thus qualifies the narrative potential that the philosophical approach to the behavior of birds allows. These stories, their terms of existence, their perceptive issues, are precisely those that are present in the artist Benjamin Mouly’s work. Rooted in photography, his work continues, however, to thwart the fixity of images, to widen the gaps between the bodily and visual experience of an unstable reality and the standardized techniques of its capture . The film project For the Birds, that Benjamin Mouly developed at the Casa de Velázquez, is part of this experimental perspective, colored with humour.
For the Birds is a film made up of a collection of saynètes [02.] (sketches) presenting a multiple character, seeking to forge a relationship with the birds by means of unusual materials — sugar, fat — or poetic approach techniques — idle waiting, choreography of gestures, amateur art practice. The uncharacter in this film — an illusionist dandy, a lard sculptor, a painter of the insides of jackets, a living statue, a lover of fights but also of naps — is an experimenter. Inventor of multiple meanings and of composite, mobile modes of action derived from opportunities, he avoids the seriousness of a scientific approach by being burlesque and thus allows the emergence of another modality to be present in the world, in relation to nature and birds. The result is the creation of an ecosystem of forms whose natural or artificial qualities are captured in a comic game of reversing values.
Oscillating between a documentary, a western and a silent film, For the Birds varies the genre and register as much as perspectives. Subject to imbalance, these create a divided and polymorphic perception of reality of potentially infinite degrees and variables. Thus, For the Birds is a film that embodies the unsuspected resources of the living world and the dizzying range of possibilities that the visible field offers as soon as it is conceived beyond the only human perspective. Moreover, For the Birds is not necessarily aimed at human spectators, and after all, as a new man once said: « Aesthetics is to the artist what ornithology is to the birds [03.] ».
01. Vinciane Despret, Habiter en oiseau, éditions Actes Sud, 2019.
02. A « saynète », or sketch, is a little farcical comedy performed during the interval in the Spanish theatre. The French term derives from the word « sainete » , which refers to a small piece of fat that is given to birds to reward them.
03. Quote from Barnett Newman, 1952.
Installé à bord d’une Mercedes 350 Slc couleur crème, j’ai présenté à Setu les rushes d’un film que je venais de tourner dans le village d’Elliant, à proximité du Festival. La voiture était garée dans la crèche de la ferme et le public s’est disposé tout autour. Depuis l’intérieur du véhicule, je diffusais des images à l’état brut en les appuyant de commentaires.
J’ai raconté la préparation et les coulisses du tournage, comment j’ai rencontré les habitants d’Elliant et leur ai proposé de participer à une scène de bagarre qui aurait lieu dans un bar désaffecté. Je voulais parler de ce moment qui n’est pas encore le film et qui se tient entre l’expérience encore vivace du tournage et celle du montage à venir. Sur le capot de la voiture, j’ai disposé des objets en sucre ayant servi à la scène comme décoration pour le bar et comme accessoires pour la bagarre (des bouteilles, une paire de bottes, les fragments de visage esquissant l’un des personnage, une ampoule).
Mercedes 350 Slc crème, moulages en sucre issus du film, micro, projecteur, ordinateur, dispositif son.
Crédit photos du festival © Clément Harpillard
La vidéo For the Birds (Le beurre) a été présentée la première fois à Madrid en 2020 à la Casa de Velázquez, accompagnée d’une improvisation musicale de la compositrice Huihui Cheng. Dans la salle de projection se trouvaient deux pianos (un modèle récent et un autre complètement désaccordé). À partir de ces deux instruments, nous avons établi un protocole de jeu qui permettait à Huihui de naviguer entre différents registres (classique, minimaliste, contemporain) ou bien de jouer d’effets de bruitage. Lors de l’événement, la vidéo, d’une durée de 20 minutes, était diffusée en boucle. Huihui pouvait aller et venir dans l’espace d’exposition comme elle le souhaitait, jouer, s’arrêter, reprendre, sortir, changer de piano.
2 pianos, maillet, bol en métal, scotch, fausse pomme.
« Jamais sucre ne gâta viande » est une proposition de Claire Chassot, Benjamin Mouly et Miel Villemot. Entre installation et performance, le projet se présente comme une veillée de 24 heures au cours de laquelle quelque chose tente de s’édifier. La veille est abordée à la fois comme un verbe d’action et un état. C’est une façon singulière de percevoir, de construire et d’habiter un espace collectivement: par la présence, les gestes, les déplacements, exécutés ensemble ou seul, avec lenteur, attention, concentration, en creusant les profondeurs du temps.
Veiller, c’est également cette manière d’être particulière qui spécule de ce qui devrait se produire le coup d’après. Elle se lie ici à une narration, celle de la réalisation d’une arche à l’image de ce temps élastique, mou, aux lisières de la conscience. Cette forme mystérieuse, qui tient autant du portail métaphysique que du seuil architectural, est conçu à partir d’une matière ordinaire, éphémère et ductile : le sucre. La technique employée est celle des confiseurs, à une échelle qui n’a pourtant aucun sens pour l’industrie du bonbon.
Extrait – Lunch Break – Take 6, avec Clélia Barthelon, 12min (2018)
Avec François Feutrie, David Picard, Bruno Silva, Marjolaine Turpin et Josselin Vidalenc. A Guest + A Host = A Ghost est une résidence croisée initiée en avril 2018 entre le Vivarium – atelier artistique mutualisé – à Rennes et Les Ateliers à Clermont-Ferrand. Créé par la commissaire indépendante Isabelle Henrion, ce projet est conçu comme une expérience d’échange. 3 artistes du Vivarium (dont moi) troquent pendant un mois leurs ateliers et leurs appartements avec ceux de 3 artistes installés aux Ateliers. Basé sur un principe de mutualisation des biens et des ressources, le projet A Guest + A Host = A Ghost interroge les notions d’hospitalité et de contexte de travail en rapprochant deux structures aux fonctionnements, philosophies et situations géographiques similaires. Le titre est emprunté à Marcel Duchamp.
Ma proposition plastique se présente comme autant de tentatives pour approcher les corvidés du Pré la Reine – ancienne cité ouvrière de Michelin – à Clermont-Ferrand. Les Carrés Bleus sont extraits de la publication réalisée à cette occasion par Marie Eschenlauer et Margaux Lebret.
Dessin préparatoire
A Guest + A Host = A Ghost, reproduction extraite de l’édition réalisée par Marie Eschenlauer et Margaux Lebret (2018)
Carré Bleu, jour 01 (Apéritif), mélange apéro, 1/2 grenade, 1 vis, 1 banane (2018)
Carré Bleu, jour 02 (Apéritif), mélange apéro, 1/2 grenade, 1 vis, 1 pomme (2018)
Carré Bleu, jour 03 (Sushi Night), déconstruction de California Roll (boule de riz gluant, feuille d’algue Nori) sur tronçon de palette, ruban de gingembre frais, cocktail surprise (sous chaussette de Yoga)(2018)
Carré Bleu, jour 04 (Brunch), 3 œufs au plat, bacon végé (noix de cajou et noisettes concassées, raisins secs, sucre, farine), feuilles de menthe fraîche (oubliées), grains de maïs tendre, main (2018)
Carré bleu, jour 05, épis de maïs reconstitué (depuis une conserve de maïs en grains), 1 fausse framboise (framboise en bois laquée de ketchup Heinz), patte et tête d’oiselet (multiples couches d’enduit à base de colle à farine, copeaux de bois d’atelier, maïs écrasé sur tige en métal), structure métallique, fauteuil en cuir vert d’eau, maquillage (2018)
Exposition du 23/02/2018 au 18/03/2018. Avec Claire Chassot, Michael Harpin, Kevin Hoarau, Aurélie Jacquet et Benjamin Mouly. PDF
Les souffleurs, vidéo, 02:07 (2018)
A Chair For Richard (2018)
Détail, A Chair For Richard (2018)
Carré-de-côte, bois, sucre (2018) / Kevin Hoarau, Sans titre, gaines plastiques, toile de jute, son (2018)
Thank You For Coming (The Unexpected Robin)
Sans titre, chaise, sucre moustique (2018)
Détail, Le Mouleur, avec Kevin Hoarau (2018) détail
Le Mouleur, (2018)
6:32 PM — 7:16 PM, le 23/02/2018. Chaise Ikea STEFAN noire, bois mort, sucre, fer à béton. À Richard Brautigan.
A Chair for Richard, vidéo, 00:40 © Aurélie Jacquet
https://www.ruedesarts.fr/nos-murs
https://www.artpress.com/2017/06/15/la-rue-des-arts-a-toulon-un-parcours-photographique/
Park / Les Oranges (2015-2017)
Dos / Hostel (2014-2017)
L’Échaffaudage (2012-2017)
Aquarium (2016)
And a Hand / Negative (2014-2016)
Store (2014-2017)
Scaffholding (2012)
Lit (2014-2016)
Exposition du 02/12/16 — 14/01/17. Avec Katrien De Blauwer, Noémie Goudal, Claudia Huidobro, Anni Leppälä, Benjamin Mouly, Pablo Jomaron & Quentin Leroy, Catherine Poncin, Esther Teichmann.
Performance présentée le 13/12/16 lors de l’événement Lucy In the Sky With Diamonds orchestré par Grégory Castera. Matériaux utilisés: Branches, assise en mousse polyuréthane, livre de poche en sucre tiré, cuillère-branche en argile et bois, oreille et main en argile, baie, fausse pomme, couverture en cuir synthétique, projecteur à lampe. Durée: 15 minutes environ.
Cette performance remet en jeu le dispositif de prise de vue que j’ai développé pour photographier les oiseaux du jardin de la Cité des Arts. Mon protocole se base sur un ensemble d’objets réalisés à partir de fruits et légumes sculptés, et de matériaux divers (beurre, argile, bois, graines, etc.). Ils servent d’appât pour l’animal et constituent une zone de contact entre lui et moi. L’appareil est déclenché lorsqu’un oiseau se pose à proximité. Comme dans une partie de pêche, l’attente est aussi importante que la prise. Pour cette performance j’ai réemployé certains objets et fonds utilisés pour mes prises de vue, sans préciser clairement la raison de leur usage. La performance se présente comme une série d’actions reflétant la construction d’un décor pour une chose qui n’est nommée que sous forme d’indices. Je considère ce dispositif comme une situation photographique dont le caractère performatif vise à interroger l’idée de désœuvrement.
Documentation
Cycle d’expositions organisé avec Claire Chassot lors de ma résidence à la Cité Internationale des Arts dans la lignée du projet précédent mis en place par Sylvain Couzinet-Jacques et Océane Ragoucy. Avec Claire Chassot, Louise Mutabazi, Simon Collet, Héloïse Verdan, Émilie Traverse, Jonathan Llense, Benjamin Mouly, Joséphine Tilloy, Thibault Pellant et Carole Cicciu. 1) Du 08 au 10/04/2016 Ultragreen. 2) Du 20 au 22/05/2016 Jack Your Melon. 3) Du 24 au 25/06/2016 Contentons-nous d’être brillants.
Texte de Louise Mutabazi pour Ultragreen (2016)
Héloïse Verdan, Sans titre (2016)
Émilie Traverse, Time Lapse (2016)
Simon Collet, Sans titre (2016)
For The Birds [0], équerre en acier, doigt en parafine et colorant alimentaire (2016)
Notes et dessins de Joséphine Tilloy pour sa performance (2016)
Joséphine Tilloy, Sans titre, performance (2016)
Sans titre, restes de costume, peau de pastèque (2016-2018)
Colibries (2016)
Jonathan Llense, Sans titre (2016)
La montagne magique (2015-2016)
Joséphine Tilloy, Sans titre, performance (2016)
Jonathan Llense, Sans titre, détail (2016)
Jonathan Llense, Sans titre (2016)
Sans titre, tease video (2016)
Thibault Pellant, Diffuseur de gomme (2016)
Texte de Claire Chassot d’après une conversion FB entre Carole Cicciu et Thibault Pellant (2016)
Thibault Pellant, Dendrobates (2016)
Carole Cicciu, Sans titre (2016)
Carole Cicciu, Sans-titre, performance motorisée autour du parc de la Cité des Arts, motard, Montmartre, (2016)
De concert est la première exposition d’importance de Benjamin Mouly qui, né en 1987 et diplômé de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles, poursuit sa scolarité à la HEAD de Genève. Remontant pour la plupart à 2012, les photographies trouvent ici une nouvelle existence après être apparues dans des livres d’artiste ou des installations qui pouvaient parfois laisser craindre la systématisation d’un procédé : fragmentation, répétition, recadrage et décadrage de l’image. Loin s’en faut. Ces photographies sont indissociables des amitiés ou de l’intimité de l’artiste. À la spontanéité des prises de vue apparemment imparfaites (mises au point et cadrages parfois hasardeux, coups de flash violents…), répond celle des modèles, même si certaines images sont dirigées. Mais l’artiste n’entend pas témoigner de sa vie et de celle de ses contemporains. Il préfère creuser le rapport entre les choses : « Si je photographie un corps, par exemple, ce corps n’est pas l’objet de l’image. Ce qui compte c’est précisément la manière qu’a ce corps de glisser dans ce qui l’entoure, comme si la limite de celui-ci n’était pas la peau mais la porosité de cette peau, son passage dans le dehors. Je regarde comment un corps se tend, la matière de ses attitudes. » De fait, les corps sont fragmentés et anonymes, pris dans des situations idiosyncratiques dont la simplicité le dispute à une étrangeté renforcée par les motifs avec lesquels ils dialoguent (maigres bouquets de fleurs et autres natures mortes).
De concert lève ainsi toute réserve. L’exposition trouve son équilibre entre des photographies dont l’intégrité n’est pas menacée et d’autres qui entrent en disjonction avec leur cadre (ce dernier n’épouse pas leurs dimensions, si bien que certaines images débordent quand d’autres semblent se perdre). C’est par hasard que l’artiste s’est mis en 2013 à travailler sur le cadre et la limite qu’il impose à l’image : obligé d’utiliser des encadrements standard et identiques pour une exposition, il avait saisi tout le potentiel de cette contrainte en superposant la grille formée par les cadres à son pêle-mêle d’images. De concert montre que Mouly cherche moins à sortir du cadre, au sens propre comme au figuré, qu’à souligner la nature proliférante et poreuse des images afin de favoriser leur rapprochement. Car ce qui intéresse l’artiste est surtout ce qui se produit entre les images. Sa pratique s’apparente donc au montage. Il n’est pas le seul à arpenter ce chemin fort à la mode. Mais on retient la finesse de son approche. Elle intègre particulièrement bien l’espace d’exposition qui tend à l’installation. En témoignent, par exemple, les rappels chromatiques dont il sait jouer : un aplat jaune pâle recouvre une partie des murs et crée une « surface d’incrustation » qui rend des images solidaires ; pour autant cet ensemble n’est pas autonome car la couleur se retrouve plus loin, dans une photographie qui, à son tour, se voit prise dans ce jeu fructueux de relations.
Avant cette exposition prometteuse qui se prolonge par une vidéo mettant en mouvement ce travail sur le cadre, on aura vu, au rez-de-chaussée de la galerie, les photographies saisissantes de Claudia Huidobro dont on connaissait surtout le travail graphique et plastique à partir d’images préexistantes. L’artiste née en 1963 présente Tout contre (2008-14), une série de mises en scène volontairement sommaires dont la violence réside dans le sentiment d’oppression créé par le grand corps de l’artiste dans un espace qui semble se replier sur lui.
[…] De même, et toujours dans cette idée de rapport, je travaille entre les images; c’est-à-dire qu’une image ne va pas sans se couler dans celles qui la suivent et la précèdent. Chacune traverse et est traversée par les autres. Les divers agencements que je mets en place me permettent d’envisager mes images comme des entités non fixées. Par jeux de résonances, de raccords ou de répétition, je cherche à construire des ensemble ouverts et mobiles.
Vue d’installation, exposition De Concert (2015)
Et Felix (2011-2015)
(au centre) Sans titre / Justyna (2011-2015)
À l’orange (2011-2013)
Sidewalk (2012-2015)
Grapes (2012)
Confirmation (2011)
Melon & Ham (2012)
(au centre) Fragment #3, extrait de l’installation Space Related, 2013
Fragment #5 (2014)
Sans titre (2011)
Et vite il nous menait
Là où la nuit tombe,
Lui à deux pas devant
Nous, et se retournant,
Riant toujours, prenant
À des branches, faisant
Lumière de ses fruits
De menue présence.
Extrait de Les Planches Courbes, Yves Bonnefoy.
Un rien d’intime semble s’être soustrait à l’harmonique livré par chacune des images composées par Benjamin Mouly. Isolément, individuellement, elles profitent des interstices qu’elles font apparaître entre elles pour opérer en fragments dans une sorte de rémanence. Depuis elles, la partition indifféremment jouée en couleur ou en noir et blanc figure deux gammes qui ne cessent de s’alimenter sans se toucher. Passant de natures mortes en silhouettes anonymes, ce n’est plus la lisière des corps, ni du cadre qui est attendue mais bien ce qui est venu se loger, s’immiscer « entre ». Le hors champ n’a plus d’utilité ici puisque le détail suffit à plonger dans une mer d’oscillations abstraites ou dans la plissure d’un membre. Tout est contenu vers l’intérieur : un monde « d’intensités » et de « matières » surgissant fortuitement.
Petites fables se succédant les unes aux autres, les photographies de Benjamin Mouly abritent des circonstances où l’incongru et l’inquiétant ont recouvert le visage du double. Telles des apparitions, ces figures fondues dans la nuit ou suspendues au temps semblent tout droit sorties de films noirs, où la lumière surprend les corps réfugiés en eux-mêmes, pris en flagrant délit de banalité. Un drame mineur, rejoué chaque fois, poursuit ces images (dénuées de tous titres qui viendraient figer leur sens), d’un récit qui ne se finirait jamais. Dans ces décors naturels aux éblouissements presque aveuglants, les corps se dégagent d’une chorégraphie qui les aurait forcé à se définir. Tantôt informes, repliés ou voutés, ils ne se performent que pour mieux s’éloigner de leurs états : « Voir comment un corps se tend, la matière de ses attitudes et la façon dont il se glisse dans ce qui l’entoure. »
En face, les objets observent des silences. Le vertical est sans doute ce lien contigu qui permet de traverser les photographies toutes à la fois, et séparément. Car la pratique de Benjamin Mouly préfère à l’illustration un jeu d’écarts où le chevauchement participe à une circulation libre, essaimant des boutures d’images greffées entre elles. Aussi, c’est dans ce glissement qu’il construit ses installations. Le dispositif photographique n’est plus uniquement voué au format tirage mais bien, invariablement, du mur au livre, à la recherche d’un aplanissement des angles. Que ce soit en photographie à travers une tentative de prolonger l’image au delà de son cadre, ou par le biais de la vidéo en la faisant percuter, dans une bataille réflexive infinie, les surfaces réfléchissantes provoquées par des miroirs disposés à la verticale, c’est bien la répétition de sa quintessence que l’artiste tend à éprouver. Verres, motifs, robes, jambes, fruits, fleurs, toutes pourtant, semblent implorer une énigme propre, et au moins autant, en appeler à résister au sens.
Index est un abécédaire de l’ongle réalisé à partir d’images trouvées sur internet dans le cadre d’un workshop de Joachim Schmid. Il a été conçu à quatre mains avec l’artiste Alexis Chrun à l’atelier de micro-édition de la HEAD. 50 exemplaires, 26 feuillets A3 pliés en deux, reliure amovible. Animal, bière, coucher de soleil, drapeau, eau, feu, guerre, héros, illusion, jeu vidéo, k, lettre, monnaie, nourriture, 0, personnalité, quadrichromie, religion, sport, tableau, univers, volume, web, xxx, ying yang, zigzag.
Exposition du 06/02/14 au 22/02/14. Installation in situ à la galerie Temple et publication du catalogue Space Related, 16 pages, 18,6×24,5 cm.
Installation galerie Temple © crédits photographiques Étienne Chosson
Publication
Ce livre est composé de trois objets autonomes. Un catalogue regroupant une sélection de photographies, Provisional, imprimé en noir offset, 64 pages, 200×270 mm. Un livret de titres potentiels pour les images, Words With-out, constitué d’éléments textuels empruntés à des pochette d’albums, impression risograph, 16 pages, format A5. Un carton faisant office de couverture + colophon, imprimé en offset, couleur, format A6. Conception éditoriale avec Maxime Milanesi et Guillaume Grall (Building Paris). ISBN 979-10-91366-03-8.
Couverture en toile grise, impression noire et blanc, 120 pages, 19×25 cm, exemplaire unique.
Ce livre provient d’un ensemble d’images issues mes archives personnelles. Ces images disparates figurent des corps, des situations ou encore des éléments naturels, sans proposer de hiérarchie. La couleur des images est neutralisée par le passage au noir et blanc. Leur contenu est mis en pièce par une série de recadrages et le livre induit un dialogue entre les différents fragments obtenus. Une trame narrative se construit selon une cadence jouant de creux, d’échos et de répétition.
© Benjamin Mouly, 2010-2018. Aucune des images présentées sur ce site ne peut être reproduite sans autorisation préalable de l’auteur. Design graphique Building Paris, code Francis Josserand.